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INTRODUCTION

Dresde, une ville de l'ancienne Allemagne de l'est

Par la désindustrialisation, il existe des friches industrielles dans toute l'Europe, qui sont les témoins d'un passé riche et glorieux. Elles marquent le territoire et son paysage, et posent des questions sur l'identité de ce territoire. L’Allemagne, en tant que pays industriel puissant, abrite de nombreuses friches industrielles, plus particulièrement dans l'Allemagne de l'Est (ancienne RDA). Les usines laissées en friches sont significatives du processus de désindustrialisation de l'Allemagne et de toute l'Europe, mais aussi et surtout du processus de réunification des deux Allemagnes. En effet, les usines et entreprises de l’Est n’ont pas pu rivaliser avec la compétitivité et le capitalisme occidentaux, et beaucoup ont fait faillite. Ces friches industrielles sont les témoins d'une époque révolue : les allemands de l'Est ont dû s'approprier une nouvelle identité abandonnant la leur, et s'adapter à un nouveau régime. Ces friches incarnent peut-être cette problématique d'une identité abandonnée. A la chute du mur, c'est un monde nouveau qui s'est ouvert, et c'est un événement qui a profondément marqué toute l'Allemagne de l'Est.

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J’ai effectué l’année dernière un semestre de mobilité Erasmus à Dresde, capitale du Land de la Saxe en Allemagne. J’ai pu rencontrer des jeunes allemands et m’intégrer au sein de leur groupe, découvrir leur culture, leur histoire. A la suite de ce premier semestre, j’ai décidé de poursuivre mon séjour en Allemagne par une expérience professionnelle, et j’ai été stagiaire pendant quatre mois dans l’agence d’architecture Wörner Traxler Richter à Dresde. Ces deux expériences complémentaires m’ont permis de côtoyer deux univers différents de Dresde, et de comprendre des points de vues différents par rapport à son histoire. En effet, mes collègues à l’agence, souvent plus âgés que moi, étaient en majorité nés en Saxe, dans l’ancienne RDA. J’ai brièvement discuté avec certains de leur passé. Une de mes collègues m’expliquait que c’était une époque compliquée, ils n’avaient pas le droit de sortir du territoire de la RDA, ils étaient privés de beaucoup de libertés, et coupés du reste du monde. Malgré les critiques qu’elle faisait de cet ancien régime, elle souriait et se remémorait presque avec plaisir cette époque. Peut-être souriait elle car elle se rendait compte à quel point cette époque est maintenant bien révolue, que le temps passe et que tout a changé. Ou peut-être se sentait elle un peu nostalgique.

La balade du dimanche

Une des ballades les plus appréciées des Dresdenois est celle du bord de l’Elbe, une promenade pour vélos et piétons qui traverse le centre de Dresde. A travers cette balade, on peut découvrir les bâtiments de style baroque du centre touristique qui longent l’Elbe, des bâtiments qui ont été en partie tous détruits pendant la seconde guerre mondiale mais qui ont été rénovés et reconstruits à l’identique à partir des années 90, dans un style historicisant.

Un dernier pont marque la fin du centre-ville, la fin des bâtiments historiques imposants, la fin de la balade des touristes, la fin des pelouses vertes et entretenues. Des lors que l’on dépasse ce dernier pont, on trouve un lieu plus étrange. On y croise des caravanes, des bâtiments en ruine, des bâtiments en briques rouges tagués, mais aussi un terrain de sable pour beach-volley, un bar avec une terrasse en bois exotique et des transats, une petite maison d’architecte toute neuve... C’est dimanche, il fait bon, les gens se détendent dans les transats, les enfants jouent dans le sable. C’est une image saugrenue pour Dresde, en pensant que dans quelques mois tout sera recouvert de neige. En s’éloignant dans une ruelle, on peut découvrir des hangars accolés, se tenant les uns aux autres. Il s’y trouve des artisans, des antiquaires, une petite ruche. Les hangars sont surplombés par un bâtiment en brique rouge massif qui menace de s’effondrer, lézardé de tout son long par une large fissure. Je remarque à ces pieds la trace d’une ancienne ligne de chemin de fer, c’est un rail discret qui serpente dans le sol sableux derrière le terrain de beach-volley.

Après une dernière petite maison abandonnée, je tombe sur la « Leipziger Strasse » une rue peu empruntée par les piétons, bordée par une station-service. Cette rue n’a pas vraiment d’intérêt pour le flâneur du dimanche, et est même plutôt dangereuse à traverser. Je reste donc du côté des antiquaires et des petites baraques qui menacent de s’effondrer : c’est bien plus captivant, surtout que de l’autre côté, il n’y a pas de ruelles piétonnes, seulement un énorme grillage qui borde toute la route, dépassé par une végétation folle qui tenterait presque de s’en échapper. C’est étrange une forêt si proche du centre-ville. Je décide de rentrer chez moi, contente d’avoir trouvé un lieu insolite à faire découvrir à mes colocataires, mais je prévois d’en garder encore un peu le secret. De retour chez moi, prise de curiosité, je cherche sur Google Maps cette forêt. On ne distingue qu’une énorme masse de verdure au milieu de la ville. A côté de la forêt se trouve d’immenses hangars courbés, que je n’avais pas vus, car ils devaient être cachés par la station essence.

 

Quelques dimanches plus tard, je renouvelle l’excursion. De retour sur la Leipziger Strasse, je longe le grillage en tentant d’apercevoir ce qui se trouve derrière. Il fait plus froid, les gens se font rares. Je prends quelques photos, qui ne montrent pas grand-chose de plus que des trous de grillage sur fond de vert. Je refuse d’être venue pour rien, et je cherche un plus gros trou pour m’y introduire. Un peu plus loin, la maille du grillage est percée, et je m’enfonce victorieuse dans les ronces. Je ne suis plus dans la ville, je suis maintenant invisible. Je me déplace difficilement, en me raccrochant à cette végétation hostile. Je tombe sur un petit abri, composé de longues et fines arcades. On dirait un joli kiosque de jardin public, sauf que le kiosque est aujourd’hui encombré de couvertures et de déchets, et après quelques photos, je décide de m’éloigner rapidement. J’apprendrai par la suite que c’était avant une orangerie.

 

 Je réussis enfin à trouver un chemin praticable, et j’aperçois au loin la porte du grillage qui donne sur la rue, bien enfoncée. Des gens entrent et sortent. J’aurais dû passer par là, évidemment. Je suis la touriste du terrain vague. Un peu plus loin dans le terrain vague, je croise un couple qui promène son chien. Je leur demande des informations, ne comprenant toujours pas comment ce lieu soit abandonné. Ils me disent que le lieu a été racheté mais qu’aucun projet n’a été sélectionné, et qu’il est abandonné depuis longtemps. Ils m’expliquent également que certains endroits sont protégés car habités par des salamandres. Je comprends que c’est un lieu de balade régulière pour les gens du quartier, et qu’ils y tiennent. Ils me disent qu’ils espèrent que l’endroit restera encore longtemps comme ça. J’entends de la musique et des rires au loin. Je fais demi-tour et je retourne vers la ville, en passant cette fois par la porte enfoncée.

 

Un peu plus loin, je contourne la station essence et je découvre les immenses hangars abandonnés. Ils font bien 100 mètres de long. Il y en a un qui est aujourd’hui un magasin de fournitures d’art. Les autres sont encombrés, murés, abimés. Tout au bout, je découvre une halle ouverte, avec la charpente en bois apparente. Des crottins de chevaux indiquent que des chevaux sont passés par là. A l’intérieur de la halle se trouvent de magnifiques calèches. Je comprends que les calèches qui servent à transporter les touristes au centre-ville sont stockées ici. Effectivement c’est l’endroit idéal, ces immenses hangars peuvent abriter ces engins encombrants, pas loin du centre historique, mais cachés et à l’abri de la foule. Ces hangars impressionnants sont bordés au sol de lignes métalliques, des anciens rails. Je me dis que cela devait être une ancienne gare de marchandises.

 

Deux hommes sortent d’une maison en briques rénovée, et je me décide à leur poser la question. Ils m’expliquent qu’ils travaillent ici, que la maison a été réhabilitée en bureaux. La maison abrite également les bureaux du nouveau propriétaire du site. Lorsque je lui demande pourquoi le terrain vague et les hangars sont abandonnés, il m’explique que c’est vraiment une longue histoire. Le terrain a été vendu par la ville alors qu’elle était en difficulté économique dans les années 90 après la réunification. L’entreprise Globus a racheté le terrain de l’ancienne gare et du terrain vague, avec comme projet d’implanter un grand supermarché en détruisant les anciens bâtiments. En effet, les anciens rails de la gare pouvant encore servir, ils pourraient approvisionner facilement le supermarché en marchandises. Ce site est également situé au cœur de la ville, accolé au quartier alternatif très dense, la Neustadt, et également pas loin des quartiers résidentiels. Ce site est également directement desservi par le tram, la gare de la Neustadt, et une route nationale, ce qui en fait un lieu idéal. La ville a refusé le projet. En effet, il existe déjà un gros centre commercial dans le quartier voisin, et ce supermarché étoufferait les commerces de proximité du quartier alternatif de la Neustadt. La ville travaille de son côté sur d’autres possibilités que Globus rejette. Aucun projet n’a finalement été choisi et le site est toujours en attente.

L’homme que je questionne finit par me dire que la gare a servi pendant la seconde guerre mondiale, et que ça en fait un lieu problématique. Il m’explique que les bâtiments d’accueil ne peuvent pas être détruits, pour des raisons de mémoire. Ces bâtiments sont donc aujourd’hui laissés à l’abandon par l’entreprise Globus.

 

Un architecte de la mairie me confirme que l’entreprise ne peut pas y toucher, mais juste attendre qu’ils s’effondrent d’eux même. Quelques plaques et objets ornent simplement le bâtiment d’accueil muré en ruine. J’apprends que certains se sont déjà effondrés les années précédentes.

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Je découvre sur internet que cette gare a été le point de départ de deux déportations, une vers le camp de Riga et une vers le camp d’extermination d’Auschwitz qui a transporté 1500 personnes.

Je commence à comprendre pourquoi ce site est aujourd’hui invisible. Est-ce un déni de l’histoire ? Je me demande si le passé historique de la gare a influencé le choix de la ville, qui a revendu le site, si c’était une volonté d’oublier, de se débarrasser d’un lieu problématique. Était-ce pour contourner le problème de la mémoire ?

 Ce déni m’interpelle d’autant plus que des manifestations néonazies du groupe Pegidas sont fréquemment autorisées dans la gare actuelle, de l’autre côté de la rue.

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Un site sujet à débat

Ce site est un trou aveugle dans la ville de Dresde, un site vendu, puis délaissé, aujourd’hui sujet à controverse. L’architecte de la mairie me dit que vendre ce terrain a été leur plus grosse erreur.

L’entreprise Globus est en conflit avec eux, et essaie par tous les moyens de séduire les habitants à proximité. De nombreuses caravanes sont aujourd’hui sur le site, et l’entreprise essaie de les convaincre de soutenir leur projet en affirmant que si le supermarché est réalisé, ils pourront rester sur le site malgré tout. On me dit à la mairie que ce sont des mensonges. On prétend les faire participer alors qu’ils seront sûrement chassés une fois le projet effectué. L’entreprise où j’ai fait mon stage a également effectué un projet sur la partie du site au bord de l’Elbe. L’architecte de la ville me confie qu’il n’a pas été si évident de travailler avec eux. Il m’explique qu’ils sont très compétitifs, rapides, mais pressés et qu’ils n’ont peut-être pas cerné tous les enjeux du site. Il me dit qu’il aimerait que les halles soient conservées, en faire un lieu de mémoire, d’histoire. Au 19e siècle, le site était un ensemble industriel de 50 hectares, qui fonctionnait comme un tout. La gare et le port servaient à transporter les marchandises des différentes usines, notamment celle de Villeroy et Boch, qui a presque complètement disparu depuis. Il reste l’ancienne douane, qui a été réhabilitée en logement. Aujourd’hui, certains bâtiments industriels et ceux de la gare restent. Sur le site se sont greffés au cours du 20e siècle des bâtiments modernes. Depuis la vente du site en 1990, rien ne s’y passe. Une employée du bureau d’urbanisme de la mairie m’explique que la trame des bâtis historiques est complétement obsolète aujourd’hui au sein de la ville. Elle explique que ces halles courbées de 200 m de long, « posent problème en plan », et coupent le territoire. Elle explique qu’il faudrait les détruire pour obtenir un plan d’urbanisme « ordonné », « clair » et « bien desservi ».

 

 Je découvre de nombreux articles de journaux locaux qui relatent le feuilleton de ce site controversé, la « alten Leipziger Bahnhof » (l’ancienne gare de Dresde-Leipzig). En effet, ce site n’a pas la même signification ni le même enjeu pour tous : pour la mairie, les agences d’architecture, le propriétaire, les habitants ou les flâneurs du dimanche, l’approche est radicalement opposée. De plus, par sa position géographique dans la ville, sa proximité avec les transports, avec le centre-ville et avec l’Elbe, ce site est plein de potentiel, ce que Globus a bien compris, et ce que la ville a réalisé trop tard.

Questionnements

Dresde est une ville qui a été bombardée pendant la seconde guerre mondiale, et dont le centre historique au sud de l’Elbe a été détruit à 98 %. C’est assez étonnant de découvrir que ces bâtiments de l’ancienne gare de Leipzig, qui font partie du rare patrimoine de Dresde datant d’avant la guerre, ne soient pas conservés, préservés, alors que l’on a reconstruit à l’identique les bâtiments du centre-ville bombardés, comme la Frauenkirche en 2005.

Il y a aujourd’hui la création d’un centre-ville artificiellement historique, qu’on pourrait qualifier de centre-ville « Disneyland », et qui rend la ville si touristique à l’international. Mais d’autre part, je découvre les délaissés, les oubliés, les lieux authentiques à fort passé historique, qu’on souhaite effacer de la carte. Cela témoignerait-il d’un traumatisme que la ville de Dresde a subi pendant la guerre ? et d’une culpabilité qu’elle porte aujourd’hui ?

 Dresde n’a pas été reconstruite au hasard. Il y a un sentiment de nostalgie vis-à-vis du passé d’avant-guerre, et la volonté de retrouver et de construire la ville d’avant, d’oublier ce que les bombardements ont détruit, d’oublier les actes effroyables commis, d’oublier la guerre. Hambourg ou Berlin, comme Dresde, ont subi les bombardements de la guerre, mais ces villes n’ont pas forcément fait le choix d’une reconstruction historicisante. Pourquoi à Dresde le choix d’une reconstruction historicisante s’est-elle imposée ?

 

L’illusion d’un centre historique a été fait pour rappeler l’identité glorieuse de la ville du 18e, surnommée la Florence de l’Elbe, mais cette reconstruction historicisante ne souligne-t-elle pas l’absence d’un patrimoine désormais disparu ?

 

Le mythe d’une ville survivante et recréée, par l’image et la mise en scène, remplace-t-il les blessures du passé, jusqu’à les oublier ? Les ruines de l’histoire trouvent elles encore une place à Dresde ?

 

Construction d’un « patrimoine » artificiel, destruction d’un patrimoine authentique, peut-on modifier, choisir, définir, par l’architecture, l’identité de notre territoire ? Comment le patrimoine et l’architecture d’une ville témoignent-t-ils de son identité et de son histoire ?

 

Quelle est la place de l’architecture vis-à-vis de cette friche au passé historique singulier ?

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